De toutes les époques et dans toutes les cultures, entrer dans un pub et s’accouder au bar est un geste de socialisation, une façon de s’imprégner et d’intégrer une communauté. Partager avec l’étranger le vin ou la bière fait dans le patelin, c’est une façon de le faire communier avec l’esprit du lieu, de lui faire goûter le savoir-faire et le terroir local.
En ces temps de pandémie, nous sommes privés de ces gestes de partage. Pourtant l’envie de boire local est plus forte que jamais, les chiffres de ventes le prouvent. Mais qu’est-ce que boire local? Les réponses semblent aussi multiples que les motivations pour le faire, en particulier dans le monde de la bière.
Au moment d’acheter local, on peut être motivés par plusieurs raisons: garder l’argent dans la communauté pour favoriser une économie forte, épargner l’environnement en limitant les transports, préserver l’emploi du beau-frère ou l’encourager avec sa compagnie, célébrer fièrement le savoir-faire local, ou encore apprécier le goût du terroir, entre autres.
«Parfois, acheter la bière du dépanneur du quartier, c’est un geste d’achat local. D’autre fois, ça va être d’expérimenter le goût du grain qui pousse dans un champ près de chez nous. Tout ça est valable», dit Ryan Allen, de la Brasserie Macallen, qui pousse le brassage local jusqu’à planifier ses recettes de bière en fonction du résultat des récoltes qu’il obtient sur sa ferme brassicole.
Marie-Eve Myrand, directrice de l’Association des microbrasseries du Québec (AMBQ), pense aussi qu’il y a plusieurs façons de voir les choses. «Si tu achètes du grain d’Allemagne pour faire ta bière québécoise parce que tu cherches une saveur précise qui n’est pas disponible ici, est-ce que ton produit est moins local pour autant? Le Panier Bleu, créé par le gouvernement, a ouvert cette boite de crabe-là. Si tu as pignon sur rue ici et que tu vends des vêtements de Taïwan, versus si tu dessines tes vêtements sur la rue Saint-Laurent, ce n’est pas la même chose, mais l’important c’est que le consommateur le sache et qu’il puisse faire ses choix en toute connaissance de cause.»
Locale, une définition élastique
Pour certains, peu importe la région, la ville ou le quartier d’où elle provient, une bière est locale en autant qu’elle soit fabriquée au Québec. À chacun sa définition, mais là encore, le consommateur est en droit de savoir à quoi s’en tenir.
«Parfois c’est trompeur. On peut voir l’adresse du siège sociale de la compagnie sur l’étiquette et penser qu’une bière vient d’une certaine ville, alors qu’en fait, elle est brassée à contrat de l’autre côté du fleuve. Parfois, c’est l’adresse de la microbrasserie où est faite le contrat qui est utilisée, ça devient mêlant», souligne David Bérard, de la microbrasserie L’Apothicaire.
Il est difficile pour l’instant de savoir qui brasse sa bière à contrat et qui la brasse dans ses propres installations, confirme Marie-Eve Myrand. «En principe le lieu de production doit être retraçable sur l’étiquette, mais dans les faits, il y a mille et une façons de contourner ça. Certains sont prêts à tout pour avoir l’air local, on en voit toute sorte d’exemples. Ce n’est pas facile pour le consommateur.»
Quoi qu’il en soit, en 2021, le local, comme le vert ou le durable, fait vendre. Les stratèges de marketing tartinent tout ce qu’ils peuvent avec ça, ce n’est pas compliqué! Rendu là, pas le choix, parfois, d’être sceptique.
Le logo Aliments du Québec, aussi pour les boissons
Une chose est sûre, un aliment ou une boisson qui porte le sceau d’Aliments du Québec est produit, ou du moins transformé au Québec.
L’organisme vérifie l’origine et les ingrédients et certifie les produits alimentaires et les boissons de ses membres qui souhaitent se prévaloir de ses logos. Si plus de 85% des ingrédients proviennent d’ici, le produit sera certifié «Aliments du Québec». En deca, il sera certifié «Aliments préparés au Québec». La mention bio peut s’y ajouter, si le produit se qualifie.
De plus en plus de bières seraient certifiées «Aliments préparés au Québec», selon Marie Beaudry, directrice générale, qui précise que les logos se trouvent parfois sur les caisses, s’ils ne sont pas présents sur la bouteille.
«Dans le cas des produits préparés ici, on demande quand même que les ingrédients viennent d’ici s’il sont disponibles, ce qui est le cas pour un pâté au poulet, une exigence qu’on n’aurait pas pour du cacao dans le chocolat, par exemple.»
Des critères appelés à évoluer avec le temps, selon Marie Beaudry. «Il n’y a pas si longtemps, il n’y avait pas de production de houblon au Québec. Maintenant, c’est plus facile à trouver.»
Parmi les bières de microbrasseries québécoises, certaines sont faites de houblon et de grain 100% poussés au Québec. D’autres peuvent aussi inclurent des grains européens, des fruits tropicaux, des épices importées.
Si utiliser les oranges ou la canelle fait partie de nos traditions depuis des centaines d’années, faudrait-il les gommer de nos recettes pour être vraiment local?
Marie Beaudry, directrice d’Aliments Québec pense que non. «Notre définition du local va plus loin que juste ce qui est produit ici. Pour nous, la transformation et le savoir-faire font partie du local. Il y a des recettes spécifiques à notre tradition culinaire qui n’existent nul part ailleurs, et il faut les reconnaître.»
Le malt et le houblon québécois sont de plus en plus faciles à trouver, mais ce n’est pas toutes les microbrasseries qui se préoccupent d’en utiliser. L’AMBQ souhaite voir les choses évoluer, dit Marie-Eve Myrand, qui croit que rien n’est plus naturel. «Il n’y a qu’à regarder les menus, où il y a souvent beaucoup de produits du terroir. C’est dans l’ADN des brasseurs de valoriser les circuits courts.»
Favoriser l’emploi des matières premières québécoises fait d’ailleurs partie de la mission de l’AMBQ. «Grâce à la table de concertation de la filière brassicole qu’on met met en place, des initiatives seront prises afin de favoriser encore plus l’achat local chez les microbrasseries», dit Marie-Eve Myrand.
Ainsi, après la multiplication des bières brassées ici, verrons-nous celle des bières à base d’ingrédients québécois. Boire local deviendra de plus en plus accessible, quelle que soit la définition qu’on s’en fait.
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